Chronique n°19 : Tous les visages de la douleur réunis…

Entre 1820 et 1829, le secrétaire de Mairie MARIN, en poste depuis au moins l’an 13 de la Révolution (1805), officiant à Saint-Mihiel (Meuse), rédige des tables de baptême, de mariage et de sépultures. En pleine restauration monarchique, il entend faire le lien entre les différentes époques qu’il a traversé et préface ses recueils pour préciser, avec un certain lyrisme, ces intentions.

L’ambition est grande. Il s’agit de compulser les registres de la ville depuis 1575 jusqu’en 1820 pour les baptêmes et 1829 pour les sépultures. Il faut ensuite classer les évènements par ordre chronologique puis par ordre alphabétique. Dans sa table des baptêmes, comme une adresse à lui-même, et un avertissement à ceux qui souhaiterais lui succéder, il cite un poème de Joseph Juste Scaliger (1540-1609), philologue et historien protestant, que l’on peut traduire ainsi :

« Si quelqu’un a reçu une peine cruelle d’un juge qui, à perpétuité, a condamné sa tête à souffrir des tribulations et des tourments, qu’aucun poids ne le plie dans une usine, ni dans des mines souterraines où ils lacèrent ses mains raides : qu’il compose des dictionnaires, car en résumé, pourquoi s’embêter ? Tous les visages de la douleur y sont réunis ». »

Si le lettré indique également que les registres paroissiaux de Saint-Mihiel étaient particulièrement bien tenus; ce dont le modeste auteur de ces lignes peut témoigner; il est vrai que le travail de longue haleine qu’il a entrepris est un véritable sacerdoce.

Son Avant-Propos suivant cette citation latine donne du corps et un esprit à l’entreprise. Il s’agit de faire le lien entre le baptême chrétien et l’Etat-Civil laïc qu’il inscrit artificiellement dans une longue continuité de l’Empire Romain à son XIXème siècle. Pour cela, il convoque Marc Aurèle, dont on dit qu’il fut le premier à faire tenir un registre de population à Rome. Il conjugue, dans sa démonstration, « l’acte religieux le plus nécessaire au salut de tous » et « l’acte civil le plus important à l’existence de chacun ». Car « chacun de ses actes séparés [devant] être également respectable aux hommes, la Politique et la Religion gagnent à les réunir. »

En parallèle, il regrette que cet usage fût perdu au moyen-âge, faisant suite, selon lui, suite « à l’avis de Tertullien et de plusieurs Pères de l’Eglise » de baptiser uniquement les adultes. Un choix pourtant minoritaire parmi ces derniers et sans lien avec l’absence de registre tenu jusqu’au XVIème siècle. Registres paroissiaux qui, bien que préexistant furent rendu obligatoire, en deux temps, par l’Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) pour les baptêmes puis celle de Blois (1579) pour les mariages et les sépultures.

Par aspect pratique, il conclut que l’abréviation Sp. du latin « Spurius » qui signifie « illégitime » sert de repérage aux enfants naturels dans son registre. On notera également les dessins stylisés de visages dans les O qui rappellent nos contemporains smiley et qui sont probablement postérieurs au travail du sieur MARIN, ceux-ci n’étant pas présent sur la page de garde de ses tables alphabétiques des mariages et des sépultures.

Cette table des sépultures, en revanche, nous réserve une dernière surprise, concluant avec les mots de Pierre-Simon Fournier le Jeune (1712-1768), typographe à l’origine du prototype d’imprimerie, avec son Eloge de l’Ecriture :

« C’est de Dieu que nous vient cet Art ingénieux,

De peindre la parole et de parler aux yeux,

Et par des traits divers de figures tracées,

Donner de la couleur et du corps aux pensées. ».

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